Non reconnaissance du travail réalisé : un fléau aux lourdes conséquences
La non reconnaissance du travail bien fait (ou pas) peut avoir un impact négatif sur la santé mentale et l'ambiance générale au sein d'une organisation. Dans cet article, nous explorerons les conséquences, un cadre explicatif, puis nous fournirons des conseils pour favoriser la mise en place d'un environnement reconnaissant.
Thomas Jacquot
1/22/20247 min read
La non-reconnaissance du travail a des conséquences néfastes autant pour les employés, les managers que les chefs d'entreprise. Cette absence engendre une baisse de motivation, d'estime de soi et de satisfaction professionnelle. Le sentiment de basculer dans l'ombre de l'oubli gagne le corps et l'esprit, faisant vaciller la confiance en ses propres compétences et sa valeur. Voilà comment cela peut entraîner une détérioration de la santé mentale et émotionnelle, entraîner un désengagement qui prendra de l'ampleur à mesure qu'un climat de travail délétère se développera, et qui à son tour, générera une anxiété sourde et malicieuse. L'absence de valorisation des contributions et des réalisations érode la confiance mutuelle et le respect, conduisant inévitablement à une diminution de la productivité, de l'efficacité et de la collaboration au sein de l'organisation.
Le plus grand danger se trouvera dans les comportements que les individus (aussi bien salariés, managers que chefs d'entreprise) vont mettre en place comme pour compenser ce qui sera vécu comme une injustice. Cher lecteur, retenez bien que ce vécu peut être aussi bien concret, que subjectif, voire même complètement faux : les conséquences seront dans tous les cas bien concrètes et réelles. En effet, aucun être humain ne peut supporter d'être victime d'injustice (encore une fois, à tort ou à raison) sans essayer d'en faire reconnaître la réalité par une autorité, ou à défaut, de se faire justice soi-même. C'est ainsi que l'on rencontre des situations difficiles à comprendre pour qui ne connaît pas les mécanismes mentaux à l’œuvre. Par exemple, un employé qui sabotera le travail pour se venger, un manager qui se désengagera de toutes ses responsabilités au risque de mettre en difficulté ses équipes, ou un dirigeant qui portera un regard déshumanisé sur ses salariés. Tout cela pouvant être vu, dans bien des cas, comme étant des stratégies inadaptées de défense, utilisées dans un but de se préserver soi-même d'un contexte jugé comme préjudiciable.
C'est pour cela que la première des possibilités pour faire face à ce que nous ressentons comme un manque de reconnaissance de notre travail se trouve en nous ! Sommes-nous au clair sur ce que nous appelons "le travail bien fait" ? La façon dont nous jugeons de notre propre travail révèle beaucoup sur notre propre conception du monde et sur la valeur que nous attribuons à nous-mêmes. D'où la nécessité de prendre du temps et de la distance sur notre manière de réaliser nos tâches, sur la manière dont nous inter-agissons si nous travaillons en équipe, ainsi que sur les valeurs que nous mettons dans nos actes. En faisant cela, nous mettons en place des ressources précieuses pour affronter toutes sortes de contexte de travail, dégradées ou pas, et nous préservons notre santé.
Évidemment, cela ne suffit pas. C'est là que les organisateurs ou managers du travail ont des cartes à jouer (s'ils sont au clair avec leur conception de leur travail). Parce qu'il est tout à fait possible de mettre en place des systèmes de reconnaissance du travail objectifs plus ou moins automatisés, et de constater un effet inverse sur la motivation et l'engagement. Par un raisonnement biaisé avec de bonnes intentions ou pas, l'essentiel peut se trouver totalement occulté, laissant là une chance d'améliorer ce qui coince et que l'on retrouve souvent dans les conditions de travail. Pour être plus clair, utilisons un exemple très concret : nous venons de traverser une crise sanitaire mettant à mal l'ensemble du système de santé et les soignants qui y travaillent. En guise de reconnaissance, une prime exceptionnelle a été octroyée, la fameuse prime Ségur. Est-ce que cette prime a été perçue comme une reconnaissance de la nation envers celles et ceux qui l'ont mérité ? Est-ce que cela a pu renforcer l'engagement et la motivation tout en faisant naître des vocations ? Chacun est libre de juger, mais il y avait certainement bien des choses à faire différemment. Pour éviter de refaire les mêmes erreurs, prenez le temps de vous interroger sur les différentes formes de justice au sein de votre organisation et d'imaginer l'impact sur la façon de percevoir des individus :
La justice distributive issue des études menées dans le cadre de la théorie de l’équité (Adams & Rosenbaum, 1962) et de l’échange social (Blau, 1964 ; Homans, 1958). Il est ici question d’une transaction entre la personne au travail et la source de rétribution sous forme d’une évaluation d’investissement, coût, récompense et profit. Ainsi, l’individu va estimer sa contribution par rapport à ce qu’il reçoit. Cette évaluation débouche donc sur un jugement considéré comme équitable ou non. Il n’est pas question de valeurs absolues de rétribution, mais bien de la répartition apparaissant comme juste dans le calcul d’un ratio entre ce qui est reçu (salaire, pouvoir, autonomie) et ce qui est donné (engagement professionnel, intensité de l’effort), cela dans un processus comparatif avec d’autres travailleurs servant de référence. La tension ressentie en cas d’iniquité provoque une dissonance : plus le déséquilibre perçu est grand, plus la tension psychique est grande. C’est par les efforts déployés pour réduire cette tension que l'on explique, par exemple, les comportements contre-productifs au travail.
La justice procédurale concerne le processus à l’origine de la décision des répartitions des rétributions (Gangloff et al., 2017). Par exemple, un justiciable accepte mieux sa peine lorsqu'il a pu exprimer son point de vue, que la décision soit en leur faveur ou non. Le phénomène qui rend les décisions plus acceptables est nommé « effet voix ». D’autres critères sont à analyser pour comprendre la justesse perçue de la procédure décisionnelle : l’absence de biais, possibilité de revenir sur une décision, prise en compte de tous les éléments pertinents, application identique des procédures, éthique et utilisation d’informations exactes, être conforme aux valeurs morales et étiques communément admises. On voit ici comment la perception de la qualité du processus décisionnel peut influencer et rendre plus acceptable le résultat de ce processus et renvoie donc à la justice distributive. Deux modèles explicatifs peuvent rendre compte des attitudes et comportements face à l’organisation selon la justice procédurale perçue : le premier est dit instrumental. La justice perçue fait prédire aux individus que leurs rétributions seront proportionnelles à leurs investissements, ce qui les encourage dans leurs engagements. Le second est dit Relationnel, en lien avec l’identité sociale. L’individu se sent respecté et membre à part entière de son entreprise, développant sa confiance et son implication.
La justice interpersonnelle met l’accent sur le traitement interpersonnel et informationnel reçu (Bies, 2005), c’est-à-dire sur la perception du subordonné de la qualité de ses échanges avec ses supérieurs. Elle est favorisée par des relations fondées sur le respect et la sensibilité ainsi que par les justifications des décisions. Bies et Moag (1986) définissent deux dimensions déterminant la perception de ce type de justice : la première concerne ce qui touche à « l’explication » comme la justification (qualité des explications et raisons ayant conduit à la décision) et la sincérité (tenue des promesses). La seconde concerne la « sensibilité interpersonnelle » comme le respect (politesse, dignité) ainsi que l’évitement de remarques déplacées ou de propos injurieux.
Pensez-vous que les questions sous-entendues par ces notions ont été discutées avec les premiers concernés lors de l'annonce de la prime Ségur ? Ou que cela a eu un effet paradoxal en laissant un sentiment d'injustice ?
J'espère que vous l'aurez compris, c'est par le questionnement à travers des notions de "critères de travail bien fait" et de "sentiment de justice" que vous pourrez améliorer les choses. Bien entendu, il faudra être prêt à écouter les réponses qui ne seront pas toujours réjouissantes. Il y aura probablement de la dispute et des conflits de valeurs à résoudre, mais c'est bien là une opportunité. Nous ne pouvons pas résoudre un problème discrètement mis sous le tapis. Trop souvent, la peur de déplaire ou d'être mal vu empêche l'expression et par conséquence : réduit à néant les possibilité d'agir sur les complications qui dégradent le travail et les conditions de sa réalisation.
Chacun, à son niveau, à le pouvoir de mettre en œuvre une ou des actions pouvant favoriser le contexte d'une reconnaissance du travail motivante et engageante. Beaucoup de facteurs sont à considérer et il serait rapidement épuisant pour une personne seule de prendre cela en charge. C'est donc un mouvement collectif à lancer dans une organisation avec des temps de réflexivité sur le travail lui-même, les valeurs et les objectifs communs envers les destinataires du travail. Puis, sur les modalités d'évaluation et de feedback, qui doivent permettre à chaque individu de tirer des leçons constructives pour son propre développement et de celui de son activité. Les espaces de temps, de rencontres et de développements doivent être sécurisants pour promouvoir la confiance et la participation. Ce qui pourra aussi favoriser la créativité indispensable pour rester concurrentiel dans un monde en perpétuelle évolution.
C'est complexe, ce n'est pas intuitif, c'est une réflexion collective à organiser pour construire la façon de travailler de demain. Être prêt à affronter les difficultés comme autant d'occasions de s'améliorer soi-même et l'organisation pour laquelle on travaille est un grand pas en avant. Comme toujours, ce premier pas peut être le plus difficile, donc n'hésite pas à demander conseil.